Les dys dans la classe
Une collaboration multidisciplinaire
Michèle Mazeau
Les dys sont des troubles du développement cérébral de l’enfant se traduisant par un dysfonctionnement ou un déficit électif d’une fonction cognitive spécifique, l’intelligence générale (dite aussi facteur g, ou intelligence fluide) et les autres fonctions intellectuelles se développant normalement. Il arrive cependant que deux fonctions intellectuelles soient atteintes, alourdissant le pronostic. Les causes premières de ces troubles sont génétiques pour certains, mais restent encore le plus souvent inconnues.
L’ÉMERGENCE DES DYS
Durant des siècles, on avait supposé que le cerveau du nouveau-né était une « ardoise vierge ». Toute anomalie de son développement dans le domaine cognitif ne pouvait donc résulter que d’une anomalie globale de son fonctionnement cérébral ou bien d’un environnement inadapté, voire pathogène.
À partir des années 1960-80, les progrès de l’informatique et des neurosciences mettent à jour la formidable complexité de l’organisation cérébrale du bébé dès sa conception, déjà dotée d’une myriade de réseaux de neurones interconnectés mais très spécialisés (langage, mémoire, comportements, etc.), à l’origine des compétences précoces du nourrisson : on n’apprend pas à partir de rien. Cette organisation initiale permet les apprentissages qui résultent d’interactions en spirale liées aux échanges avec le milieu (affectif, social, physique) : réseau de neurones spécialisé > échanges efficaces avec l’environnement et donc les apprentissages dans un domaine donné > modification du réseau concerné (renforcement ou création de nouvelles connexions) > apprentissage plus complexe, échanges plus complexes > complexification du réseau concerné ou création de nouveaux réseaux, etc.
Le cerveau est un formidable organe à apprendre, et apprendre modifie en permanence notre cerveau. La question « inné ou acquis ? » n’a désormais plus de sens : il faut une organisation cérébrale adéquate pour apprendre, mais celle-ci n’évolue et ne permet d’atteindre les performances habituellement observées que si l’enfant est au centre d’interactions adéquates.
Autre conséquence de ces découvertes : les troubles neurodéveloppementaux peuvent aussi résulter d’un dysfonctionnement spécifique de tel ou tel module : les dys. Ce sont des troubles fréquents (environ 8 à 10 % de la population, dont 1 à 2 % très sévères) qui ont un impact important dans les apprentissages, d’où la nécessaire collaboration médicopédagogique.
DU DIAGNOSTIC À LA PRISE EN CHARGE
Le diagnostic de chacun de ces troubles nécessite l’intervention de différents professionnels (fig. 1 et 2) qui doivent ensuite se coordonner, afin de poser un diagnostic fiable, décrire précisément le handicap de l’enfant dans les différents secteurs de sa vie (scolaire, familiale, loisirs et bienêtre) et proposer des aides adaptées, véritablement efficaces.
La première étape, le repérage, revient aux familles et aux enseignants. Elle est fondamentale, puisque c’est elle qui va engager la démarche diagnostique. D’une façon générale, c’est le spécialiste du domaine considéré qui objective le trouble (intensité, durabilité) : orthophoniste en cas de problème de langage (oral et écrit), psychomotricien ou ergothérapeute si c’est le domaine gestuel ou spatial qui est en cause, etc. Les difficultés liées à des insuffisances psychoéducatives et les troubles transitoires doivent être exclus : un renforcement pédagogique ou une rééducation permet une amélioration franche en quelques mois. Ensuite, les échelles de Wechsler (WPPSI, WISC) sont indispensables pour éliminer une déficience intellectuelle, puis des bilans complémentaires (neuromoteurs, auditifs, visuels, orthoptiques, coordination œil-main, mnésiques, etc.) seront nécessaires pour affirmer le diagnostic et en comprendre les mécanismes intimes. Une synthèse est ensuite indispensable : c’est à ce stade seulement qu’un diagnostic peut être posé. C’est donc un diagnostic obligatoirement long et complexe. Exception importante : les dyslexies phonologies classiques, isolées et d’intensité modérée, les plus fréquentes, ne requièrent que l’intervention d’un orthophoniste.
La Haute autorité de santé (HAS) recommande d’adresser l’enfant d’abord (niveau 1) au médecin traitant, qui jugera des bilans à faire pratiquer et guidera les familles. Si le trouble est sévère, s’il y a comorbidité, si l’histoire de l’enfant ou son évolution interpellent, le médecin adresse l’enfant à une plateforme dédiée, une structure pluridisciplinaire expérimentée dans le domaine des dys (niveau 2). Enfin, les cas particulièrement complexes sont orientés vers le niveau 3, constitué des centres référents au sein d’un CHU régional. Actuellement cependant, ce schéma de parcours en trois niveaux est encore difficilement applicable du fait de la pénurie de professionnels formés. Des formations en direction de tous les professionnels concernés (médecins, psychologues, rééducateurs, enseignants, etc.) sont prévues, elles comportent des sessions communes (le partage est indispensable à un véritable partenariat entre les différents acteurs) et des sessions plus spécifiques selon les professions et les dys concernés.
QUE PROPOSER AUX JEUNES DYS ?
Les projets thérapeutiques pour ces jeunes dépendent non du diagnostic médical, mais des répercussions du trouble dans leur vie scolaire et personnelle, c’est-à-dire du handicap. Ce dernier dépend (outre la nature et la sévérité du trouble) de l’âge de l’enfant, son niveau scolaire, son cursus antérieur, son histoire personnelle et familiale, etc. D’une façon générale, les actions préconisées sont de plusieurs types et doivent être engagées simultanément : rééducations ciblées, visant à réduire le trouble (surtout si le trouble est modéré et l’enfant très jeune) ; adaptations de l’environnement, de la pédagogie et des documents pédagogiques ; aides matérielles et humaines pour la réalisation de certaines tâches ou d’adaptations ; compensations visant à lever l’obstacle réalisé par le trouble et permettre les apprentissages, rétablir l’égalité des chances, il s’agit souvent d’utiliser les technologies de l’information et de la communication ; contournement ou dispenses lorsque certaines activités s’avèrent hors de portée ; valorisation et surutilisation des points forts de l’enfant (c’est sur ces points forts que va s’appuyer l’essentiel des apprentissages) ; conseils pour les activités de la vie quotidienne, tant à l’école qu’à la maison (repas, habillage, comportement, sociabilité), sans oublier les loisirs et la guidance familiale ; traitement pharmacologique pour certains TDA/H (trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) et dys, exécutifs uniquement.
Ces projets sont évolutifs, revus au moins une fois par an. En ce qui concerne l’école, ils sont conçus à partir du Guide d’évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation (GévaSco) et colligés au sein du PAP (plan d’accompagnement personnalisé, sous la responsabilité du médecin scolaire) ou du PPS (projet personnalisé de scolarisation, après reconnaissance du handicap par la Maison départementale des personnes handicapées), véritable contrat signé entre la MDPH, l’école et les parents. Les recommandations listées dans ces documents s’imposent à tous selon les termes de la loi.
LA RÉUSSITE EST POSSIBLE
Les dys sont une catégorie particulière de troubles neurologiques, caractérisés par le fait qu’ils se trouvent à l’exacte intersection entre le médical (ce sont des troubles neurodéveloppementaux dont le diagnostic et la prise en soin relèvent du médical) et le pédagogique (une grande partie des symptômes se manifeste à l’école et le handicap réside majoritairement dans les apprentissages). Le fait que ces troubles aient été récemment mis au jour (et leur grande fréquence) a pris de court aussi bien les professionnels du soin que ceux de l’école. Cependant, l’avènement de l’école inclusive d’une part, la multiplication des formations, articles et livres dans le domaine, d’autre part, devraient permettre de lever cet obstacle à court et moyen termes.
En effet, un repérage et un diagnostic précoces, une bonne appréciation du handicap subi par l’enfant, des adaptations et compensations bien pensées permettent à ces jeunes, intelligents et motivés, de faire une scolarité satisfaisante, d’éviter échecs et souffrance, d’avoir confiance en eux et en l’avenir, de réussir leur vie à hauteur de leurs désirs et de leurs projets.
Michèle Mazeau
Médecin de rééducation, neuropsychologie infantile
Source : http://www.cahiers-pedagogiques.com